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Le secteur de l'assurance en plein désarroi : les 10 grands défis à relever et les solutions pour 2024 et au-delà

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Insurance challenges 2024

Le secteur de l'assurance vit actuellement un gigantesque processus de changement. Qu'il s'agisse des canaux de vente, des relations avec les clients ou de la réglementation… les mutations sont multiples et profondes, créant une situation confuse pour les acteurs. Le secteur doit pouvoir s’adapter rapidement à la nouvelle donne et faire des choix dans ses priorités.

De l’insurtech aux néocourtiers, aucun des nouveaux acteurs n’est parvenu à bousculer véritablement le secteur de l’assurance et à grignoter d’importantes parts de marché. Pourtant, les portefeuilles clients de ces entrants étaient parfois bien remplis (à l’image de l’arrêt de Luko malgré ses 450 000 contrats). Si quelques succès sont notables, force est de constater que, dans l'ensemble, les assureurs préexistants s'en sont tirés à bon compte. En effet, avec la hausse des taux d’intérêt, la période faste de l’argent gratuit est révolue. Et, compte tenu du nouvel environnement financier, lever de la dette a de nouveau un coût. La probabilité de voir émerger de nouvelles initiatives visant à transformer le secteur de l'assurance paraît mince dans un avenir proche. 

Pour autant, en 20 ans de carrière en tant que consultant pour des compagnies d'assurance, le secteur me paraît vivre un bouleversement inédit. Certes, 20 ans n'est qu’une bribe en comparaison de la construction multiséculaire du secteur dans l’Histoire, mais le constat du désarroi dans lequel se trouvent un certain nombre de compagnies d'assurance aujourd’hui, et les changements profonds auxquelles elles sont confrontées, me poussent à un certain pessimisme. Pour affronter le cycle qui s’est amorcé, les clients que nous accompagnons chez Simon-Kucher vont devoir faire face à dix défis stratégiques majeurs. Les relever les uns après les autres sera, à mes yeux, la clé pour perdurer sereinement. 

1. Le digital : va-t-il devenir le canal majoritaire d’acquisition clients à l’avenir ? 

Même si elle s’accompagne encore souvent du téléphone, la croissance des canaux de vente numériques a été impressionnante ces dernières années. Les comparateurs d’assurance, dans la santé ou l’immobilier, se sont taillés une place de choix dans le paysage sectoriel. Leur présence est moins forte en France que dans d’autres géographies comme le Royaume-Uni ou l’Allemagne, mais suffisante pour provoquer une concurrence plus féroce entre les différents acteurs. Ces derniers ont dû s’adapter : les parcours de souscription se sont nettement améliorés, la gestion des leads par les assureurs a progressé, les modèles sont plus professionnels, diversifiés et précis. 

L’activité assurantielle reste pour autant complexe : elle répond à un besoin de sécurité qui ne peut faire l’impasse du contact humain avec un spécialiste. Le besoin qui émane du client est une bénédiction pour l’assureur qui, alors, n’a plus qu’à répondre à cette demande de la manière la plus efficace possible. Les canaux de vente numériques sont naturellement prédestinés à cela. Ils sont simples, transparents et omniprésents. Mais la vente numérique de ces produits n’est qu’un segment de marché parmi d’autres. 

Aujourd’hui, les agences d’assurance réalisent déjà les deux tiers de leurs interactions à distance. Tout se fera-t-il donc uniquement en ligne ? Dans un avenir proche, c’est peu probable. La combinaison des canaux de vente dépend de la demande sous-jacente, qui est en partie numérique et en partie analogique (avec un contact humain direct, physique ou téléphonique). Et tout le monde ne souhaite pas contracter son assurance de manière purement numérique. C'est pourquoi la part des affaires analogiques pour ces produits continuera d’exister. La nouvelle réalité est celle d’une combinaison de canaux dans le cycle de vente.

2. Le rôle des écosystèmes et des partenariats et l’essor de l’Embedded Insurance 

Après une période d'euphorie sur le potentiel des écosystèmes, il est désormais devenu évident que leur potentiel était limité pour les assureurs s’ils tiennent le rôle d’orchestrateur. Néanmoins, la valeur ajoutée est réelle lorsqu’il s’agit de répondre à un besoin dérivé d'assurance, à travers un écosystème ou un partenariat bilatéral. L'assureur s'intègre alors avec finesse dans le processus de vente du partenaire, soit en proposant un produit adapté au produit de base qu’il accompagne, ou bien en tentant de commercialiser son portefeuille existant avec le partenaire via un canal de vente. 

Les stratégies d'assurance intégrées (Embedded Insurance) portent leurs fruits chez nos clients dans le monde entier. La valeur de chaque police individuelle conclue de cette manière est faible, mais bien gérée, ce canal de vente peut s’avérer très prometteur. L’enjeu pour l’assureur est alors de déterminer comment élargir la relation d’affaires avec un client acquis de cette manière. 

L'assurance émane souvent en effet d’un autre produit de base. Ce produit fonctionne très bien sans assurance, mais avec elle, l’expérience n’en est que plus agréable. L'assurance voyage et les extensions de garantie en sont des exemples classiques. Avec la demande dérivée d’assurance, il s'agit non seulement de répondre à des besoins, mais aussi à des souhaits. Pourquoi le client devrait-il acheter l'assurance en plus ? Le canal de vente de l'assurance est en fin de compte basé sur le canal de vente du produit de base. La vente d’assurance suit ainsi le sillage de la vente de ces derniers, qui se fait de plus en plus par voie numérique. Il existe un champ d’opportunités à développer en allant greffer l’assurance aux expériences clients des différents écosystèmes : le concept d’Embbeded Insurance (qu’il soit hard ou soft : intégré ou optionnel) est appelé à croître drastiquement que ce soit dans l’automobile et la mobilité à l’image de Tesla, dans le Retail, ou dans le Voyage. L’essor du leasing ou de formules d’abonnement faciliteront cette croissance. Cette voie de croissance appartiendra à ceux organisés pour aller capter les partenariats. Une croissance des primes multipliée par 7,5 est anticipée en 2030 vs 2022. 

3. Un conseil personnalisé et proactif pour « réveiller » la clientèle

Pour susciter l'enthousiasme des clients et répondre à leurs besoins à venir comme par exemple, un complément de retraite, il faut mobiliser des compétences en matière de vente et faire preuve de persévérance. Ici, les demandes numériques restent encore l'exception et les ventes analogiques la norme. Dans un monde qui se complexifie sans cesse, l’assurance a un rôle de filet protecteur. Les clients doivent donc être stimulés par le biais d’un conseil personnalisé et proactif. L’intelligence artificielle, la collecte de plus de données clients et le développement d’offres davantage modulaires mais aussi d’une gamme de services y aideront.

4. Un marketing entravé par la réglementation ?

Créer la demande et influencer la décision d'achat en faveur du fournisseur, fonction essentielle du marketing, devient de plus en plus ardue. La première raison est relative à l’explosion des coûts, surtout en ligne, mais aussi hors ligne. Une augmentation du coût par clic – qui peut aller jusqu’à 40 % – se répercute inévitablement sur le coût par commande. En outre, les budgets de marketing sont régulièrement contraints. Notons toutefois que la plupart des assureurs n’investissent pas suffisamment dans le marketing dont l’efficacité se trouve parfois, à tort, remise en question. En effet, nous avons observé que les assureurs européens ont un budget marketing moyen d'environ 0,3- 0,5 % du revenu des primes. 

La deuxième raison est liée à la protection des données qui limite la manière dont nous pouvons nous adresser au client, et entrave considérablement la création d'une demande large et efficace. Cette situation conduit à un sous-équipement de la population en ces produits importants. Concrètement, cela signifie que les assureurs devront travailler beaucoup plus dur sur leur quota d’opt-in s'ils ne veulent pas se retrouver sur la touche. 

L'utilisation de l'économie comportementale, qui fait d’ailleurs l'objet d'un examen critique de la part des régulateurs, peut être une réponse. L'économie comportementale est la science du comportement qui explique pourquoi l'homo economicus décide souvent comme Homer Simpson : de manière irrationnelle, mais prévisible. Elle peut être utilisée pour influencer le comportement. Nous verrons ce que la réglementation nous réserve avec les Directives DDA, Open Insurance et RIS, mais l'économie comportementale est, et restera, un outil de marketing important. Elle allège la charge cognitive dans la situation de prise de décision complexe qu'est l'achat d'une assurance. Et c'est exactement ce que recherchent les clients. Aux assureurs de « nudger » au mieux leurs clients dans les parcours et décisions d’achat. 

5. Qu’implique la consolidation des courtiers sur le marché ?

La vitesse à laquelle les grandes maisons de courtage se consolident est époustouflante : soutenues par des fonds d’investissement, elles mènent des stratégies de build-up à tambour battant (April, Kereis, Odealim, +Simple, etc.). Le paysage de l’assurance a changé de manière significative et cette tendance devrait se poursuivre. De puissants acteurs émergent, avec des valorisations supérieures au milliard d’euros et acquièrent une envergure européenne, voire au-delà. L’équilibre du marché au sein de la communauté des courtiers en est ainsi transformé.

Une nouvelle répartition du pouvoir s’opère également entre les courtiers et les assureurs. De ce point de vue, nous pouvons apprendre beaucoup d'autres industries qui connaissent déjà des organisations commerciales éprouvées, comme les fabricants de produits alimentaires, mais aussi les fabricants de matériaux de construction. La professionnalisation croissante des courtiers doit s’accompagner aussi par une professionnalisation importante des capacités de gestion des comptes clés de l'assureur. 

6. Les assureurs deviennent-ils des souscripteurs remplaçables ? 

Compte tenu des mutations qui règnent dans le monde de la vente, ne conviendrait-il pas de procéder à une répartition encore plus stricte des tâches entre les porteurs de risques et les vendeurs ? Comment les compagnies d'assurance peuvent-elles se différencier et doivent-elles tout bonnement s'immiscer dans les ventes ? La reconquête du client doit redevenir la priorité des assureurs ! Nous recommandons de ne pas résumer leur activité à la simple fonction de porteur de risque. Au contraire, les assureurs devraient se rapprocher encore plus des clients, adopter un rôle nettement plus actif. L'automatisation et l’intelligence artificielle (IA) peuvent aider à ce rapprochement. 

7. L’impérieuse nécessité de rajeunir sa clientèle

Nos études sur la vente croisée aboutissent toutes au même constat : il faut rajeunir la clientèle. Au milieu de la trentaine, les jeunes sont assurés et possèdent en moyenne cinq polices. Par la suite, une seule police est ajoutée en moyenne. Au-delà de 35 ans, en revanche, une rude concurrence existe, avec des prix cassés et des marges minces. 

Le comportement d'achat des jeunes clients est intéressant. La plupart d'entre eux se dotent de leur premier produit d'assurance par le même canal que leurs parents. Si d'autres produits sont ajoutés au fil du temps, leur vente s’effectue alors de plus en plus en ligne. Les assureurs qui, d'un point de vue stratégique souhaitent se rapprocher de cette clientèle et modifier le rapport de force avec les intermédiaires, doivent de toute urgence adapter leurs modèles à cette cible. D’ailleurs, le marketing qui leur est consacré est trop souvent insuffisant. 

8. ESG : quelles incidences pour l'industrie de l'assurance ?

Une étude de la Caisse Centrale de Réassurance (CCR) anticipe une hausse de 40 à 60 % du coût des sinistres liés au climat, en 2050. Les conséquences financières de ces dérèglements sont à prendre en compte. 

Au-delà de l’ajustement des garanties aux contraintes du climat, il est frappant de constater que les opportunités commerciales immenses offertes par ce sujet n'ont pas encore été exploitées. C'est dommage, car l'ESG est l'une des rares thématiques de croissance à l'abri de la crise. La nécessaire transition énergétique est apparue de manière plus évidente que jamais avec la guerre en Ukraine, renforçant ainsi l’importance du volet environnemental. Il est certainement possible de concilier une réduction des émissions avec la rénovation des offres et une réponse plus appropriée au besoin (développer par exemple les véhicules de remplacement électriques mais aussi proposer une gamme de services dédiés comme l’accès à un réseau européen de recharge inter-opérable, …) 

L’ESG apparaît de plus en plus comme un motif de préoccupation. Si 15 à 20 % de la population ne s’en soucie pas, la moitié d'entre elle la juge importante, une majorité d’individus donc qui est prête à payer plus cher sa police d’assurance, si celle-ci s’avère plus vertueuse. L’ESG revêt d’ailleurs une importance particulière pour les jeunes, plus que pour les personnes plus âgées. 

9. Comment faire face à l'inflation ?

Si le processus désinflationniste semble désormais bien engagé, l'inflation perdure et laisse de vives cicatrices chez les assureurs. Des plaies qui sont encore loin de se refermer : dans le secteur de l'assurance dommages ou de la santé, le coût des sinistres et des prestations explose. En France, ou ailleurs en Europe, la croissance est atone. Certains pays comme l’Allemagne sont même en récession. Les hausses de taux d'intérêt par la Banque Centrale Européenne (BCE) entraînent un resserrement du crédit. Si la plupart des prix ont continué de grimper au cours des 12 derniers mois, c'est maintenant au tour des assureurs de répercuter les effets de cet environnement défavorable sur leurs prix, avec de fortes indexations et revalorisations en 2024. Mais cela pose la question de revoir le contenu des offres, plus modulaires avec des logiques de socles et de compléments. 

10. Intelligence artificielle : quel modèle d'assurance pour demain ?

Sundar Pichai, le PDG de Google, considère l’IA comme étant « la technologie la plus profonde sur laquelle l’humanité travaille, plus profonde encore que le feu, l’électricité ou tout ce que nous avons fait dans le passé ». Si toutes les formes d’IA – du machine learning au deep learning – ne sont pas encore totalement abouties et qu’un certain nombre d’incertitudes demeurent quant aux opportunités et aux risques que comporte la technologie, un certain nombre d’observateurs s’accordent à dire que des pans entiers de nos économies sont amenés à être métamorphosés. 

L’assurance n’y échappera pas. L’IA aura certainement un rôle déterminant tout au long de la chaîne de valeur de l’industrie : dans l’efficacité opérationnelle, dans la prédiction et la prévention, là où le secteur se cantonnait jusqu’à maintenant davantage à la détection et à la réparation de dommages. L’automatisation des processus d’assurance devrait aussi prendre une place de plus en plus importante (souscription, tarification, règlement des sinistres, etc.). Il est également aisé d’imaginer que des robo-advisors très performants pourront prédominer dans la relation-client, libérant les agents sur des tâches à plus haute valeur ajoutée. Les assureurs ne doivent surtout pas faire l’impasse de ce sujet. Il y a des avantages considérables à figurer parmi les premiers sur ce marché. 

En conclusion, la période est charnière et nombreux sont les défis qui attendent le secteur de l’assurance dans les décennies à venir. Pour manœuvrer dans cet environnement en mutation, le maître-mot de l’assureur sera celui de soigner sa clientèle, chercher à la rajeunir et toujours s’adapter aux nouvelles composantes que sont : l’inflation, l’importance croissante de l’ESG et des dérèglements climatiques, ou encore à la révolution technologique que l’IA pourrait représenter. Une chose est certaine : nous n’allons pas nous ennuyer au cours de ce processus de transformation engagé !

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