Ces dernières années, des bouleversements importants ont eu lieu dans le domaine des investissements dans la banque de détail. Simon-Kucher a mené une étude pour comprendre comment le marché, les prestataires traditionnels et les nouveaux acteurs digitaux ont évolué, et avec eux les orientations à trouver pour les futurs modèles d’affaires.
Depuis le Covid, une croissance rapide du nombre d’investisseurs particuliers
Pendant la pandémie, la participation des investisseurs de détail au marché a considérablement augmenté dans toute l'Europe. Mais tous les prestataires de services d'investissement présents sur le marché n'ont pas bénéficié de la même manière de cette croissance.
Les prestataires en ligne ont façonné le paysage de l'offre au cours des dernières années et ont été en mesure d'enregistrer une croissance rapide du nombre d'utilisateurs, tandis que les prestataires historiques ont nettement moins profité de la tendance à la croissance. En Allemagne, par exemple, sur les nouveaux comptes d'investissement ouverts entre juillet 2020 et juin 2021, seuls 23 % l'ont été auprès de banques traditionnelles, selon une étude réalisée par Whitebox en 2021.
Les revenus futurs des banques traditionnelles sont menacés
Les néobrokers attirent particulièrement le segment de croissance stratégiquement important des jeunes clients, tandis que les banques traditionnelles ont vu leurs clients investisseurs de détail vieillir ; 68 % des utilisateurs de Trade Republic ont moins de 35 ans, contre 10 % à 20 % classiquement pour les grandes banques traditionnelles.
En effet, avec des modèles de prix simples, une interface utilisateur intuitive et une multitude de fonctionnalités, les fournisseurs en ligne permettent à leurs clients de se servir eux-mêmes de manière efficace. Ils s'appuient sur une tarification considérablement simplifiée pour le client en la réduisant à quelques points de prix dans le cas des courtiers en ligne, ou parfois jusqu'à zéro frais visibles dans le cas des néobrokers. Les banques traditionnelles, quant à elles, s'en tiennent souvent à des modèles de tarification complexes, qui se sont développés au fil du temps et qui comportent plusieurs composantes de prix qui s’empilent. Or, la tarification est l'une des principales raisons pour lesquelles les particuliers n'investissent pas auprès de leur banque principale.
Meilleure réponse aux attentes des clients
Quelles sont donc les attentes-clés des clients ? En premier lieu, les clients veulent des modèles de frais simples et prévisibles. Plus de 70 % d'entre eux préfèrent un modèle "tout compris" à un modèle basé sur les transactions ou le paiement à l'utilisation, comme l'ont montré les études menées dans plusieurs pays. En outre, les frais minimums élevés par transaction pratiqués par les banques traditionnelles rendent souvent les petits montants d'investissement économiquement peu attrayants du point de vue de l'investisseur - ce qui touche plus particulièrement la clientèle des jeunes investisseurs naturellement moins aisés.
Deuxièmement, les clients attendent une interface utilisateur digitale intuitive, avec des parcours client simples et fluides, de l'inscription à l'exécution de la transaction, ne nécessitant que très peu de clics dans l'application, ce sur quoi les néobrokers sont devenus particulièrement performants. Dans une banque traditionnelle au contraire, il subsiste des barrières ; par exemple, il n'est souvent pas possible d'ouvrir un compte-titres dans le cadre d'un processus digitalisé de bout en bout.
Troisièmement, les attaquants digitaux ont étoffé leur portefeuille de services, en proposant le trading fractionné et l'accès aux crypto-monnaies par exemple, et en se rapprochant de la proposition de valeur des banques traditionnelles, à savoir le conseil en investissements. Ils fournissent ainsi des informations appréciées sur les fonds les plus performants dans la durée, les fonds les plus souscrits, des ressources pour débuter la prise ne main de ses investissements, etc. Largement poussés par les fournisseurs en ligne, ces types d’informations suffisent déjà à couvrir les besoins d'un grand nombre d'investisseurs. En outre, plusieurs acteurs en ligne complètent leur offre digitale par des conseils humains, comme le robo-advisor Betterment qui a introduit ce canal d’échange supplémentaire après avoir constaté qu’il s’agissait d’une attente importante de réassurance de la part des clients. Les banques traditionnelles conservent de leur côté un modèle centré sur l’humain qui constitue indéniablement une force, mais ont du mal à faire évoluer les compétences et les services de manière à offrir à leurs clients une réelle valeur perçue du conseil, et qui soit aussi durable dans le temps, au-delà du conseil initial.
Pression sur les revenus
L’ensemble des fournisseurs doit aussi composer avec des pressions à la baisse sur les revenus. D’une part, après l’euphorie, l'activité des utilisateurs s’est stabilisée, et ce reflux de l’activité a fait baisser les revenus de transactions. En particulier, les revenus des fournisseurs en ligne dépendent fortement du segment actif qui génère des transactions, qui représente généralement une minorité des comptes : au cours d'une année boursière moyenne pré-Covid comme 2019, 50 % à 60 % des comptes clients ne génèrent en effet aucune transaction. En outre, l'arrivée de nouveaux acteurs digitaux sur le marché intensifie encore la concurrence pour tous les types de prestataires de services d'investissement. Lydia, BISON, en sont des exemples : elles proposent désormais à leurs clients d'échanger des actions et des ETF en plus des crypto-monnaies.
Retail Investment Strategy (RIS)
Après le vote du Parlement le 20 mars 2024, l'interdiction des rétrocessions sans conseil proposée par la Directive Retail Investment Strategy du 24 mai 2023 semble écartée. Une telle interdiction aurait eu des conséquences fortes, puisque ces rétrocessions représentent 30 % à 50 % des revenus des services d'investissement des banques traditionnelles et des courtiers en ligne. L’heure est donc à la régulation nationale sur ce point, mais une clause de révision permettra à la Commission Européenne de vérifier cinq ans après l'introduction de la nouvelle réglementation si les effets escomptés sont jugés suffisants, et dans le cas contraire, les pressions pour supprimer les rétrocessions pourraient revenir. Pour cette raison, de nombreux établissements ont décidé de faire évoluer leur modèle de revenus pour se passer des rétrocessions, jugées trop risquées.
L’autre volet-clé de la RIS est l’introduction du concept de "Value For Money". En imposant aux concepteurs de produits mais aussi aux distributeurs un benchmark des coûts des produits d’investissement et un positionnement par rapport à un référentiel européen à venir, les processus commerciaux vont se trouver considérablement alourdis. Parallèlement, le nivellement par le bas des frais (typiquement par comparaison avec les ETF), baissera vraisemblablement les marges pour l’ensemble des acteurs de la chaîne de valeur. A cela s’ajoute naturellement la complexité opérationnelle d’intégrer ces nouveaux benchmarks dans les processus de vente.
Banques traditionnelles
Pour les banques traditionnelles, l’enjeu-clé est donc en premier lieu d'augmenter la pénétration des investissements parmi les clients des comptes courants. La révision du modèle de tarification obsolète devrait être un élément essentiel de cet objectif. Une offre mieux différenciée, répondant aux besoins hétérogènes des différents groupes d'investisseurs, est alors nécessaire. En particulier, les petits montants d'investissement doivent être économiquement viables du point de vue du client. Un modèle "all-in" correspond à la préférence des investisseurs pour la prévisibilité des frais et peut compléter un très bon complément des offres existantes, même si cela ne saurait être une solution globale. Pour garantir des revenus à long terme, les offres doivent en particulier attirer et fidéliser les jeunes investisseurs : une offre dédiée, en particulier pour les jeunes professionnels, est particulièrement importante à bien calibrer.
Face aux acteurs digitaux très agiles pour orchestrer de nombreuses informations utiles en matière d’investissement, les banques traditionnelles doivent aussi innover sans relâche pour générer de manière répétée une valeur ajoutée notable pour le client, afin de maintenir et de renforcer leur avantage concurrentiel traditionnel sur le conseil. Proposer une offre d'investissement digitale performante, ménageant la possibilité de s'adresser à un conseiller, dans des parcours efficaces et fluides, tout en tenant compte du fait que les investisseurs ne sont pas tous disposés à payer pour des conseils : pour beaucoup d’établissements, les briques sont bien là mais leur articulation dans un modèle performant n’est pas encore au rendez-vous.
Courtiers en ligne
Les courtiers en ligne quant à eux doivent renforcer leurs fonctions d'investissement et leur interface utilisateur afin d'éviter d'être distancés par les néobrokers. Ils doivent notamment améliorer leurs conseils en matière d'investissement et rendre le parcours client plus intuitif. Comme les néobrokers exercent une pression sur les transactions alors que l'augmentation de l'activité des clients induite par la pandémie se tasse, les courtiers en ligne devraient envisager de promouvoir le passage à des frais récurrents afin de réduire la dépendance de leurs revenus à l'égard de l'activité du marché. L'une de ces options est un modèle d'abonnement différencié qui offre à l'investisseur des privilèges tels que des frais de transaction réduits.
En outre, les courtiers s’efforcent de maintenir l'activité accrue qui s'est manifestée pendant la pandémie de COVID-19 tout en activant les clients moins actifs, ce qu’ils peuvent faire en introduisant par exemple des programmes de fidélisation fondés sur l'activité de courtage. Certains courtiers en ligne comme Consorsbank ont lancé avec succès de tels programmes de fidélisation liés au comportement de leurs clients en matière de transactions.
Néobrokers
Les néobrokers se sont développés avec succès au cours des dernières années. Cependant, la concurrence au sein de l'ensemble du secteur de l'investissement de détail s'intensifie, car de nouveaux acteurs internes et externes entrent sur le marché - souvent par le biais de partenariats avec des fournisseurs d'infrastructures d'investissement. Avec l'intensification de la concurrence, le coût zéro n'est plus un critère de différenciation suffisant. Les néobrokers ont besoin d'une stratégie pour se différencier par leur offre.
La différenciation peut être obtenue grâce aux services fournis. Les (néo)courtiers renforcent déjà massivement leur gamme de services. Ils élargissent notamment le spectre des investissements proposés aux investisseurs particuliers, par exemple avec les investissements dans les cryptomonnaies. Les néobrokers devraient envisager de proposer d'autres catégories d'actifs à l'avenir. Ils commencent également à défier les banques traditionnelles sur leur atout principal : le conseil en investissement. S'ils parviennent à fournir des conseils de haute qualité, ils pourraient devenir une alternative crédible aux banques traditionnelles.
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