A l’occasion d’une récente étude mondiale menée dans 17 pays auprès de 10 000 participants, le cabinet Simon-Kucher & Partners a étudié le comportement des consommateurs en matière de développement durable, en particulier concernant les services financiers. L’objectif est de comprendre et de mesurer la capacité de passer d’une aspiration environnementale à des choix concrets de consommateurs. Florent Jacquet, responsable des Services Financiers à Paris, détaille ce que ce mouvement signifie pour les banques.
Le développement durable est vu comme encore plus important pour les services financiers que pour les autres secteurs
Dans le cadre de l'étude, nous avons d’abord cherché à savoir dans quelle mesure le développement durable était important pour les consommateurs. Il ressort que les services financiers sont les plus attendus sur ce point:
- 44% des consommateurs jugent le développement durable comme important, un score plus élevé que pour toutes les autres industries.
- 30% ont répondu qu'il était assez (22%) ou extrêmement probable (8%) qu'ils réévaluent leurs prestataires bancaires pour des motifs environnementaux.
Cependant, la durabilité ne modifie pas encore les critères de choix des consommateurs
Nous avons ensuite testé plus en détail les critères d’achat. Pour les services financiers, 29% des interrogés placent le développement durable parmi les critères les plus importants, devant le prix ou les fonctionnalités. On s’aperçoit alors que cette proportion est nettement inférieure aux 78% qui déclarent la même chose pour l’énergie, ou aux 47% pour les biens de grande consommation. Cela signifie que si le développement durable est en déclaratif très important, il n’est pas encore un facteur dominant dans le choix d’une banque ou d’un produit bancaire, contrairement à l’alimentation, aux transports ou à la mode.
Une raison pourrait être que les attentes se situent principalement sur la responsabilité de la banque pour éviter de financer des activités nuisibles à la planète, dont la dégradation est très médiatisée, alors que l’offre durable proposée aux consommateurs est au contraire encore limitée (investissements responsables encore peu démocratisés, financements verts pour changer de voiture ou isoler son logement, etc.). Cette offre est aussi peu différenciée d’une banque à l’autre. Par conséquent, la durabilité n’interviendrait encore que peu dans les choix de services financiers.
Les néobanques testent de nouvelles propositions
Une nouvelle génération de banques en ligne fait pourtant le pari d’un élargissement de la gamme de produits financiers durables. Ces « éco-banques » comme Hélios en France, ou Aspiration aux US, proposent des produits de banque au quotidien (compte & carte) dans des versions écologiques ou socialement responsables. Elles représentent des premiers exemples d’une démocratisation d’une gamme durable, mais aucun leader de marché susceptible de faire changer les pratiques et d’influencer le secteur n’a encore suivi une telle voie.
La volonté de payer est la plus forte dans les services financiers, avec un écart générationnel important
Avec 35% des consommateurs prêts à payer un « premium écologique » pour des offres bancaires durables, les services financiers se classent juste derrière les biens de consommation (38 %). L’aspect le plus intéressant réside dans l’écart générationnel de cette volonté de payer : presque deux fois plus de jeunes (génération Z et Millenials) sont prêts à payer un premium écologiques comparé aux baby-boomers (42% vs 26%).
En moyenne, le premium écologique s’élèverait à hauteur de 27 % du prix original pour des offres bancaires durables. Là encore, les jeunes seraient prêts à payer le premium écologique le plus élevé (+30 % vs 13% pour les plus âgés).
Au global sur l’épargne financière, nous avons constaté que 72 % des consommateurs seraient prêts à payer davantage, à hauteur de 10% maximum. En pratique, différentes approches se dessinent pour utiliser cette sensibilité prix plus faible :
- Facturer plus pour des investissements ISR au niveau des frais de gestion des fonds. Le fonds Quintet Earth par exemple prélève 10 bp supplémentaires pour la compensation carbone
- Facturer plus dans le cadre de mandats de gestion ISR, arguant d’un travail supplémentaire de sélection et de performances supérieures ou équivalentes
- Collecter plus aux mêmes conditions commerciales, pour prendre rapidement des positions au-delà de ses parts de marchés naturelles, afin d’améliorer la transformation du cash et des fonds euro
Adapter sa stratégie pour répondre à ces nouvelles attentes clients va devenir essentiel
Les implications de cette enquête sont claires. Une proportion importante de consommateurs de services financiers se soucie du développement durable et nombre d’entre eux pourraient être prêts à revoir leurs choix de fournisseurs et de produits en conséquence. Cette part augmentera à mesure que les générations changent et que des acteurs digitaux agiles, puis des établissements classiques, stabiliseront une stratégie, une promesse, des preuves et des offres alternatives durables.
Apporter des réponses à cette tendance de fond peut nécessiter une révision en profondeur de l'offre et des processus internes pour garantir une durabilité « de série » proposée systématiquement aux clients. Dans l’épargne financière par exemple, MIF2 exige déjà une appréciation du critère ESG avant de fournir des conseils en investissements. Il pourra s’agir plus généralement d’intégrer ces critères en avance de phase, sans attendre la réglementation, et d’envisager différentes stratégies selon les cas (volume / démocratisation vs. premium / a minima couverture des coûts additionnels), quitte à les combiner.
Dans ce processus de transformation, un enjeu fort sera de rendre le client acteur en lui donnant les outils nécessaires, dans l’intérêt bien compris de la banque d’intensifier la relation par la même occasion. Le digital en particulier se prête bien à une prise en main ergonomique, intuitive et personnelle de ces choix pour les clients particuliers, professionnels et privés. Par exemple, être en mesure de facilement choisir un support d’épargne ISR, tracer l’utilité environnementale de ses dépôts et de son épargne, ou encore des petits actes du quotidien comme calculer son empreinte carbone, orienter utilement les arrondis, choisir de ne plus avoir de carte en plastique etc. sont autant d’occasions de matérialiser les engagements de la banque et d’ajouter du sens à la relation.
Pour ne pas être distancées et répondre aux attentes des clients tout en pérennisant leur équilibre économique, les banques doivent donc continuer à investir pour affiner ces constats, les préciser par univers produit, cas d’usage, segment, etc. et les intégrer dans leur feuille de route. Pour les acteurs qui parviendront à maintenir une avance constante sur ces différents fronts, la transformation vers un modèle durable sera une occasion de développer une différenciation positive et des marges supérieures.